Présentation WOW!

Les présentations en entreprise sont devenues contre-productives. De par l’utilisation abusive et inadaptée de PowerPoint, le numérique a vaincu l’humain. La communication devient une souffrance, et la valeur se détruit. Ces présentations surchargent l’auditeur d’information, ont une prédominance de textes, de chiffres,  et contiennent peu d’images.

 Le problème

Sous le couvert de l’anonymat, cette collaboratrice d’une entreprise genevoise témoigne : « Il y a quelques jours, j’ai assisté à une présentation d’un collègue de travail. Il nous a montré des textes si touffus qu’il s’est senti obligé de nous les lire en nous tournant le dos. Il y avait aussi de nombreux tableaux très complexes avec beaucoup de chiffres illisibles. Ce collègue était si mal à l’aise et stressé que j’en avais mal au cœur pour lui. Au bout d’une dizaine de minutes, j’ai décroché. C’était tellement ennuyeux et le calvaire a duré plus d’une heure. J’ai cru que j’allais mourir !»

Cas isolé ? Pas vraiment. Même dans l’armée américaine, qui utilise pourtant systématiquement PowerPoint pour ses briefings internes, des voix s’élèvent. En 2005 déjà, le General de brigade H.R. McMaster a lui-même interdit l’utilisation de PowerPoint car « Certains problèmes dans le monde ne peuvent pas être présentés sous forme de liste à puces ». Plus récemment, le général des Marines James Matthis a carrément déclaré « PowerPoint nous rend stupides !  (1) ». Et pour le professeur australien John Sweller, qui a développé dans les années 80 la théorie de la charge cognitive, « L’usage de PowerPoint a été une catastrophe. Il devrait être éliminé ! »

D’origine suisse, le Parti Anti-PowerPoint (2) estime quant à lui que les pertes économiques annuelles dues à la mauvaise utilisation de ce logiciel s'élèvent à 1,9 milliard d'euros pour la Suisse et 110 milliard pour l’Europe.  A son avis, 500 000 suisses sont obligés chaque année d'être présents à des présentations soporifiques qui détruisent la motivation  et rendent l’économie, l'industrie, la recherche ainsi que l'éducation inertes. Ce parti plaide pour l'utilisation des tableaux de conférence (flip chart) dans toutes les présentations afin d’avoir plus d'impact auprès de l'auditoire, et d’améliorer tant la compréhension du sujet que la motivation.

L’effet « WOW! »

C’est dans le Nātya Śāstra, attribué au sage Bharata, que la pensée esthétique de l’Inde trouve ses fondements. L’art y est expliqué comme étant à la fois source de plaisir et moyen de connaissance. Pour le spécialiste Philippe Bruguière(3), la théorie esthétique de Bharata repose sur la notion de rasa ou saveur qu’exprime une œuvre. Le spectateur sensible en fait une expérience délectable radicalement différente des émotions courantes qu’il peut ressentir dans la vie quotidienne. Elle est une gustation intuitive de l’œuvre et procure une joie ineffable. L’expérience que procure la gustation du rasa sera même comparée à celle qui transporte le mystique aux cimes de la félicité.

 Aujourd’hui dans les pays anglo-saxons, cette « expérience esthétique » est plus communément qualifiée d’effet « WOW! ». Composé de surprise, d’admiration, d’émerveillement et d’enthousiasme, l’effet « WOW! » se déclenche en nous quand certaines conditions sont réunies.

Par exemple quand nos attentes sont dépassées, tel ce couple surclassé en business à cause de l’overbooking.  «Wow !» disent-ils en cœur en s’installant dans leur nouvel espace. Mais également quand une excellence est constatée. «Wow, ce Château Margaux 1961 est extraordinaire d'élégance et d'équilibre !» commente ce vigneron. Et aussi quand une forte émotion positive est ressentie. Comme cette femme qui s’extasie devant le Parthénon de l’Acropole: «Wow, c’est magnifique avec ce coucher de soleil !».

Améliorer nos présentations

Comment faire face aux problèmes habituels d’ennui et de surcharge, et quels enseignements retirer de l’expérience esthétique afin de pouvoir créer l’effet «WOW!» dans nos présentations ?

La première étape est celle de l’organisation. Quel message voulons-nous communiquer et quel but souhaitons-nous atteindre ? Pour la structure de la présentation, le « schéma narratif » issu du Storytelling (4) nous enseigne qu’il est préférable de débuter par le problème, pour ensuite aborder la situation souhaitée et terminer par la ressource, c'est-à-dire la solution proposée. Ainsi notre présentation aura à la fois du sens et sera enrobée d’une dimension émotionnelle favorable à l’implication de l’auditeur.

La deuxième étape est celle de la simplification. Il va falloir diminuer la quantité d’information que nous souhaitons transmettre de vive voix. Là où nous projetions de traiter de dix points, 2 à 3 seront largement suffisants. Au-delà, l’infobésité sera au rendez-vous. Dans la même veine, toutes les diapositives PowerPoint remplies de texte verront ce dernier glisser dans la partie « zone de commentaires » pour faire place à des schémas clairs et de belles images inspirantes. Ce qui permettra de différencier les éléments projetés de ceux transmis aux participants.

La troisième et dernière étape est celle de la valorisation par une animation vivante et interactive. Questionnement du public, jeu de scène, sourire rayonnant et contact visuel intense vont capter et maintenir l’attention tout au long de la présentation. A l’aide des techniques d’animation des grands groupes, l’intervenant va faire la différence et marquer les esprits. Les auditeurs auront plaisir et plébisciteront à la fois l’intervenant et son contenu.

Un effort possible

Malgré la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons face à la mauvaise qualité régulière des présentations en entreprise, un espoir existe. L’effet « WOW! » nous apporte des éléments de réponse encourageants pour redonner de la vie et de l’impact à nos présentations. Pour les rendre plus esthétiques, plus zen et plus claires. 

Le but serait de pouvoir augmenter le retour sur investissement de chaque présentation en entreprise. Avec à la clé un effort, certes, mais possible pour tout un chacun. Car, comme le disait André Malraux, «Notre vie vaut ce qu’elle nous a coûté d’efforts».

Références

(1) La pensée Powerpoint : Enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Franck Frommer, Pocket, 2012

(2) www.anti-powerpoint-party.com

(3) La délectation du rasa : la tradition esthétique de l’Inde, Philippe Bruguière, La revue d’ethnomusicologie, 2010

(4) Storytelling, L’art de convaincre par le récit, Jean-Marc Guscetti, Slatkine, 2011